Les décors dorés sur le bois. Conservation-restauration des surfaces originelles
Les décors dorés
Dès l’origine, le métier de doreur fut un métier de décorateur. Homère dans son Odyssée[1] et Pline l’Ancien dans le livre XXVIII du second tome de Naturalis Historia[2] rapportent les premiers ouvrages dorés connus. La dorure constitue la surface de nombreux objets, tels que le mobilier, les éléments de décor, les objets religieux et les petits objets usuels. Les décors dorés illustrent le luxe, la beauté, le raffinement et le faste des arts. La qualité de production a été plus féconde grâce à l’implication de grands mécènes et collectionneurs, tels que Marie de Médicis, Richelieu, Mazarin, Louis XIV et bien d’autres, ainsi que par les échanges techniques entre artistes, artisans et marchands français et étrangers.
Jacques Androuet du Cerceau, au XVIe siècle, présente de nouvelles distributions d’intérieur. Cette évolution amène une décoration intérieure plus fournie en éléments, celui du plafond de l’Arsenal à Paris, exécuté et doré par Blaise Barbier en 1630, apporte l’exemple de ces modifications. Les décors dorés, réalisés pour les Arts décoratifs à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle se voient enrichis par de nombreuses techniques.
S’il est une notion qui définit ce que l’on qualifie aujourd’hui de décoratif, c’est celle de l’ornement. Orner : « Parer, mettre en valeur par des ajouts, rendre plus riche. » Le doreur a toujours travaillé étroitement avec le batteur d’or, le sculpteur, le menuisier en cadre, le menuisier en chaise, l’ébéniste, notons que la réalisation des supports participe à la construction des décors dorés. C’est à partir du XVIIIe siècle qu’il faut situer l’apogée du métier de doreur ornemaniste, devenant doreur-vernisseur, doreur-enjoliveur, doreur-encadreur. Les publications tel que le manuel Des principes de l’architecture, de la sculpture, de la peinture, et des autres arts qui en dépendent par André Félibien en 1676, et L’Art du peintre doreur, vernisseur par Jean Félix Watin en 1773[3], témoignent des techniques, des recettes, des outils, des matériaux et du vocabulaire, utilisés par le doreur.
Nous ne pouvons pas aborder les décors dorés sans essayer de lister les techniques qui les composent, la première dite « dorure à la détrempe » est aqueuse, composée d’une colle protéique (colle de peau de lapin) diluée à l’eau. La seconde dite « dorure à la mixtion » est constituée d’un polymère d’origine végétale (huile de lin). La troisième dite « dorure à la grecque » est composée d’une colle protéique dont les charges sont différentes. Cependant, il existe des techniques de dorure anciennes, composées d’autres liants comme la dorure à l’œuf, à la gélatine, à la coquille[4], à la cire d’abeille, au miel et d’autres mordants comme l’ail au XVIIIe siècle.
Les décors sont étroitement liés aux bois et aux formes des supports qu’ils recouvrent ; la menuiserie et la sculpture sont des étapes préparatoires à la dorure. Les supports reçoivent des couches préparatoires dites « apprêts » ; la recette française est composée de colle protéique diluée à l’eau et chargée de carbonate de calcium, à ne pas confondre avec le « gesso », qui lui est additionné de colle protéique diluée et chargé de sulfate de calcium. Notons que les charges diffèrent suivant les époques, les pays, les ateliers et les techniques.
Il existe de multiples façons de décorer une surface dorée. Dès le XIVe siècle, la reparure, une des étapes préparatoires de la dorure, permet de creuser, contourner et rehausser les moulures et les ornements apprêtés. Au cours du XVIIIe siècle, le doreur-ornemaniste la pratique de façon systématique et par ses qualifications en dessin, il esquisse les décors sur les apprêts avant de dégraisser, remodeler et détourer les ornements ; ceux-ci sont ensuite chantournés, galbés, rehaussés, gravés. C’est l’une des techniques préparatoires faisant référence aux styles Louis XIV, Régence, Louis XV, Transition et Louis XVI.
D’autres techniques préparatoires de décor existent, avant la pose de la feuille ou de la poudre métallique, tel que le « sablé » dont la pose d’un sable fin s’effectue à l’aide de colle protéique chargée sur les apprêts ; et la « pastiglia » technique préparatoire consistant à monter les bas-reliefs avec des apprêts sous forme de gouttes ou cette dernière technique consistant à venir, par endroit, presser un moule sur les enduits encore frais, afin d’imprimer les décors. Cette technique Italienne, est retrouvée notamment sur les panneaux peints, les accessoires et les cadres, entre le XIVe et le XVe siècle (fig. 1).


figure 1. Détails sur le coffret à « pastiglia » Venise-Italie, fin XVIe siècle, musée Jacquemart-André (inv. 1039). © S. Courtier ; figure 2. Profil d’une moulure d’un cadre XIXe siècle constitué d’ornements rapportés, collection privée. © S. Courtier.
La technique de « moulage », qui consiste à rapporter des éléments en pâte, issus des moules, est pratiquée au milieu du XVIIIe siècle[5], puis disparaît, pour revenir aux alentours de 1814, suite à la disparition des corporations et l’émergence de la production industrielle contribuant à faire baisser le niveau qualitatif de la reparure (fig. 2).
Les décors issus de moules en soufre se développent et les techniques associées apportent richesse d’exécution et finesse. Ces tirages sont composés de matériaux tel que la « coulante », la « pâte anglaise », le « papier mâché » et le « gros blanc » inventé en 1765 par les doreurs associés Renaud et Guillaume Thouzart. Ces matériaux sont constitués d’une colle de base protéique diluée et additionnée de charges minérale ou organique.
Notons que de tout temps, la volonté d’imiter l’or et de pallier à l’utilisation de cet alliage pour des raisons esthétiques et financières a permis d’innover techniquement dans de nouveaux matériaux. Citons-en quelques-uns, l’« or faux » appelé « arrhenicum » par Pline ; l’« orpiment » du latin « auripimentum », est un pigment minéral composé de trisulfure d’arsenic (As2S3) ; l’« antimoniate de plomb » utilisé par les Égyptiens ; le « giallorino » cité dans Cenino-Cennini au XIVe siècle, l’« or mussif » aussi appelé « mosaic gold »[6], pigment organique de synthèse, connu depuis le XIIIe siècle dont il existe plusieurs variantes aux XIVe et XVe siècles, les « poudres à bronzer », composées d’alliage de zinc et d’étain additionné d’un liant organique, découvertes par Couvier en 1781.
Sur le plan technique, la surface métallique peut recevoir différentes finitions, tels que les « poinçons », traces d’outils frappés sur l’or en France, au XVIIIe siècle, Jean Félix Wattin[3] les décrit de forme ronde ou carrée. Les « sgraffiatis » (sgraffitos), technique qui consiste à déposer un glacis coloré, dont le liant est huileux, sur la surface métallique, pour ensuite venir la gratter avec un bâtonnet et laisser apparaître en négatif le support. À la différence de la technique de l’« estofado » pratiqué en Espagne qui consiste à déposer des couches de peintures opaques qui sont ajourées par retrait du repeint.
Une autre technique de dorure particulière dite « mecca » fut utilisée en France dès le Moyen Âge. Dite « argenture » au XVIIIe siècle[3] et « dorure économique » au XIXe siècle, celle-ci consiste à déposer un vernis jaune sur une feuille d’argent, afin d’imiter l’or. Notons que les doreurs utilisent en Europe des glacis dès le XVe siècle, constitués de matériaux organiques, tel que le dammar et le copal. Teintés, ils permettent d’obtenir des polychromies. Le vermillonnage au XVIIe siècle, consiste à accentuer la couleur chatoyante de l’or tout en camouflant les lacunes.
Le peintre-doreur au XVIIIe siècle, oriente le jeu de couleurs de différentes manières, soit lors de la fabrication de l’assiette, soit par un jeu de mats et de brunis (fig. 3), soit en recouvrant la surface de couches organiques colorées ou inorganiques teintées (fig. 4, fig. 5), soit par l’utilisation de feuilles métalliques constituées de différentes compositions, tel que nous pouvons le voir sur le cadre doré associé actuellement à la peinture La Bataille de Fontenoy, Marie Leszczynska du château de Versailles (fig. 6).


figure 3. Dorure composée de mats et de brunis. © C2RMF / J.-Y. Lacôte ; figure 4. Glacis rouge sur la dorure, console XVIIIe siècle, département des Objets d’art du musée du Louvre (inv. OA 5032). © S. Courtier.


figure 5. Dorure et peinture polychrome de l’écran de la collection Crog Carven, première moitié du XVIIIe siècle (inv. OA10494). © C2RMF / J.-Y. Lacôte ; figure 6. Dorures polychromes, cadre du château de Versailles (inv. MV 8553.1). © C. Blondel.
Notons que jusqu’en 2019, avant la cessation d’activité du dernier batteur d’or français, la société Dauvet, il était proposé un référentiel d’environ 12 feuilles métalliques, soit composées de 24 carats d’or ou de composition alliant différentes concentrations d’alliages, et permettant d’obtenir différentes colorimétries, telles que l’appellation « or blanc », « demi-jaune », « or Versailles », « or art déco » et d’autres (fig. 7, fig. 8).

Au XVIIIe siècle, certains éléments étaient dorés et peints, le salon de la chambre de la reine du Trianon de Versailles en est un exemple ; la technique est constituée d’une peinture à base de colle protéique, chargée de craie et de pigments et d’une dorure aqueuse.
Au cours des époques, d’autres liants sont employés ; citons la peinture à la colle de poisson (colle d’esturgeon) dite « à froid », utilisée jusqu’au XIXe siècle, la peinture à la cire d’abeille présente dès l’Antiquité, la peinture à l’huile et d’autres.
Retours d’expériences
L’étude des surfaces dorées, passe par la connaissance des techniques anciennes et l’analyse des matériaux ; celles-ci sont nécessaires au conservateur-restaurateur afin de ne pas se priver d‘informations. L’observation à l’œil nu détermine rapidement les techniques utilisées, visibles au niveau des altérations, écailles, lacunes. Ces résultats doivent être couplés avec une étude sous appareil optique, microscopique, numérique afin de permettre d’observer plus précisément les strates. L’observation des usures, oxydations et la reconnaissance des traces d’outils sont des indicateurs d’identification, qui peuvent être complétés par des analyses au microscope électronique à balayage (MEB), par de la tomographie en cohérence optique (OCT), de la fluorescence X, de l’infrarouge, de la radiographie, ou à l’accélérateur de particules Aglaé.
Les altérations des surfaces dorées sont complexes, gouvernées par différents paramètres, tels que : l’oxygène, les ultraviolets, la pollution, la poussière, l’hygrométrie, la température, les tensions tridimensionnelles et l’homme.
Quatre restaurations vont être exposées ci-dessous ; elles comprennent des nettoyages et des retraits aux gels sur des surfaces hydrophobes[7]. Chaque intervention n’est pas anodine et plusieurs questions se posent : Quelle est l’histoire matérielle de la surface ? Quelles sont les limites d’un dégagement ? Que conservons-nous ? Quels sont les résidus ?
Premier cas d’étude et de restauration. La restauration d’une paire de bergères de la collection Grog Carven, Foliot (1699-1799), du département des Objet d’art du musée du Louvre (inv. OA 10496-1, OA 10496-2)
Nous citerons un autre exemple le fauteuil à la reine de Cresson, époque Louis XV, vers 1730-1735, collection Steinitz, Paris (fig. 9, fig. 10), composé d’un dossier dit à la reine et de pieds en obliques. De style Régence, leur décors sculptés sont composés de feuilles d’acanthes, de collerettes, de coquilles, de feuilles de roseau et de palme. Au revers du dossier, le décor est réalisé avec une reparure d’une grande finesse d’exécution venant enrichir la surface, ces travaux sont souvent exécutés sur des objets issus de commandes royales.


figure 9. Décor au revers du dossier de la bergère XVIIIe siècle, collection Crog Carven, musée du Louvre (inv. OA 10496-2). © C2RMF / M. Bourget ; figure 10. Décor au revers du dossier d’un fauteuil à la reine de Cresson, époque Louis XV, vers 1730-1735. © collection Steinitz, Paris
Sur la surface très hétéroclite de la bergère Crog Carven, on observe plusieurs interventions, datant de périodes différentes, et ces interventions sont fondamentales. Tout d’abord, plusieurs dorures sont présentes et certaines altérations sont recouvertes de patines artificielles qui viennent empêcher la dissociation des niveaux et modifient l’aspect originel. La première dorure à la détrempe est constituée d’une assiette rouge, superposée d’une seconde dorure, constituée de couches préparatoires et reprenant toutes les parties brunies. Une pose d’assiette brune est observée et la brillance de feuilles d’or qui la recouvre caractérise une dorure contemporaine ; ce qui expliquerait la présence d’une patine épaisse composée de résine naturelle chargée de pigments, sur l’ensemble de la surface.
La problématique est le dégagement de l’encrassement et du vernis, tout en conservant la colle d’origine dans les fonds ; cette couche de colle protéique est déposée lors du « matage » ; la dorure n° 2, sur les reliefs a été conservée. Dans un premier temps, une observation sous ultraviolet (UV) a permis de localiser du vernis.

La surface est ensuite consolidée avec du Medium For Consolidation de Lascaux®, dilué à hauteur de 15 % en masse dans l’eau et dont le tensio-actif est le fiel de bœuf. L’étude sous microscope numérique a permis de distinguer le niveau de chaque dorure et sa composition (fig. 12).

Le choix des retraits, s’est porté sur la couche de bronzine oxydée et de la couche organique recouvrant l’ensemble de la surface. Une fois les zones délimitées, un dépoussiérage au pinceau sec a été mené, et dans un deuxième temps les choix de solvants ont été accompagnés d’un « triangle de Teas » (Gardon & Teas, 1976), permettant de réfléchir aux paramètres de solubilité des solvants afin d’effectuer les fenêtres de dégagements.
Pour retirer la couche organique, des paramètres tels que la dureté, l’oxydation, l’adhésion sont à prendre en compte[8]. Un gel composé de Klucel G® chargé de solvants polaires, éthanol et eau, a été fabriqué. La surface étant hydrophobe, le choix s’est porté sur le Klucel G® (hydroxypropyl cellulose) ; il a été préparé avec de l’éthanol et une faible concentration d’eau déminéralisée.
Les organogels sont préparés sous trois concentrations différentes, soit 2 %, 4 % et 6 % massique d’éthanol, chacun d’eux est testé avec trois temps de pose différents, soit 15, 35 et 45 secondes, posé au pinceau sur un papier japonais Arakaji 31 g/m2 ayant servi d’interface. Après avoir sélectionné la concentration et le temps de pose pour maîtriser de la migration du solvant dans la couche organique[9], l’organogel retenu est composé de Klucel G® à 4 % en masse dans de l’éthanol + 7 % d’eau déminéralisée ; le temps de pose retenu est de 35 secondes, accompagnées du papier japonais sur une surface de recouvrement de 10 x 5 centimètres. On a constaté que le gel change rapidement de couleur car il se charge du vernis et de crasse ; il a ensuite été retiré en totalité sous forme de film à l’aide du papier Japon, suivi d’un rinçage au pinceau imbibé d’éthanol.
La viscosité du gel a permis un travail au pinceau dans les creux, les reliefs, en position verticale. Le papier japon a permis de ralentir la migration des solvants polaires et aussi d’éviter le frottement mécanique des outils sur la dorure, évitant de faire des micro-usures sur les reliefs déjà faibles à certains endroits. Le volume tridimensionnel de la surface comprenait un taux d’encrassement plus important dans les fonds des sculptures et une usure plus importante sur les reliefs, la viscosité de l’organogel employé a permis de déposer des épaisseurs différentes (fig. 13).

L’apport d’eau, de concentration à 7 % massique, a permis par son pouvoir mouillant et sa tension superficielle de dissoudre les particules polaires de la poussière, de pénétrer profondément jusqu’à la couche de colle protéique, la faisant gonfler et ainsi de séparer les deux couches. La couche de vernis a pu être dégagée tout en conservant la colle à mater d’origine (fig. 14). Afin de valider la totalité du retrait de la couche organique, une séance sous ultraviolet a été menée. La réintégration des lacunes s’est effectuée en trompe l’œil ; les retouches importantes et à bois, ont été effectuées ponctuellement avec des films d’Aquazol 200, résine poly(2-ethyl-2-oxazoline), additionnés de pigments et d’or en coquille.

Deuxième cas d’étude et de restauration. La restauration d’un écran de cheminée exécuté vers 1750, attribué à Nicolas Heurtaut, du département des Objets d’art du musée du Louvre (inv. OA 12202)
Après, une observation sous lumière infrarouge de l’estampille illisible, se situant sous la traverse inférieure, on y lit les lettres de Thillard, cet écran est attribué à Jean-Baptiste Thillard. Après une observation à l’œil nu, la présence de deux dorures et d’une peinture est constatée, la surface remaniée à plusieurs reprises, rend la lecture compliquée, de par l’usure des matériaux aux différents niveaux (fig. 15 à fig. 18).


figure 15. Strates de la surface. © S. Courtier ; figure 16. Détails des trois strates avec en 1 la dorure du XVIIIe siècle, 2 la peinture à la colle du XVIIIe siècle, 3 la dorure du XIXe siècle. © S. Courtier.


figure 17. Dorure n° 1 visible. © S. Courtier ; figure 18. Jaune de chrome visible sous la poussière. © S. Courtier.
Suite à l’observation à l’œil nu, des prélèvements analysés au microscope électronique à balayage (MEB) ont complété cette étude, afin de caractériser les matériaux des strates. Notons que ces résultats associés aux connaissances des techniques anciennes ont permis de dater certaines couches. Dans ce cas de figure, la présence du jaune de chrome date la dorure du début du XIXe siècle. La dorure d’origine du XVIIIe siècle est recouverte d’une couche de peinture grise dont les composés se réfèrent à la technique de peinture à la colle de peau de lapin utilisée sur le mobilier au XVIIIe siècle.
Ainsi, des fenêtres de dégagement ont été effectuées afin de sonder les strates et constater l’état de la dorure XVIIIe siècle (n° 1), celle-ci étant satisfaisante le choix s’est orienté sur un dégagement de la dorure XIXe siècle (n° 2) et des résidus de la peinture XVIIIe siècle. Divers tests accompagnés d’outils ou de matériels ont permis d’établir le protocole. La campagne de dégagement a été exécutée au scalpel sous lunette-loupe ; certes le dégagement a été fastidieux et long mais n’a sollicité aucun apport de matériaux chimiques, car l’irrégularité des strates due à l’usure et aux lacunes dans les diverses couches ne permettait pas de traiter de façon identique chaque centimètre carré. Notons que dans certains cas, l’action mécanique avec un scalpel reste la seule solution.
Troisième cas d’étude et de restauration. La restauration d’un écran de cheminée à châssis de Louis Delanois du département des Objets d’art du musée du Louvre (inv. OA 102019)
Cet écran de cheminée en forme d’écusson provient du pavillon érigé à Louveciennes par Claude-Nicolas Ledoux (1736-1806) pour la comtesse du Barry, maîtresse officielle de Louis XV depuis 1768. Il fait partie du mobilier réalisé par Louis Delanois (1731-1792) pour y meubler vers 1769, le salon. À cet ensemble travaillèrent le peintre-doreur Jean-Baptiste Gagny et le sculpteur Joseph Nicolas Guichard. La structure en chêne sculpté est en forme d’écusson porté par deux pieds terminés en enroulement. Ces pieds de par leurs proportions et leur forme chantournée sont caractéristiques du style Louis XV. En revanche, la sculpture d’une grande finesse d’exécution annonce le style Louis XVI. Deux traitements de surface sont visibles et exécutés avec des techniques différentes. On observe la présence de repeints et de re-dorure sur l’ensemble de l’objet. Les altérations ont été recouvertes suivant leur positionnement, d’une ou plusieurs couches constituées soit d’une assiette vinylique, d’une dorure à la détrempe, d’une cire teintée, d’une bronzine ou/et d’un vernis. Cette surface sale et peu homogène ne permet pas, à ce stade, de lisibilité des sculptures (fig. 19).

Dans un premier temps, l’observation sous UV a révélé la présence de résines naturelles, d’or, de préparations (apprêts et assiette) et de bronzine. La surface dorée n’est pas d’origine puisque des documents originaux certifient que Louis Delanois a livré cet écran, composé d’une surface peinte (fig. 20).
La question s’est rapidement posée, à savoir s’il était possible de restituer à cet écran son état d’origine. Pour répondre à cette question, des fenêtres de dégagement ont été effectuées notamment à l’extrémité de la volute d’un pied (fig. 21). Elles ont permis de proposer différents niveaux d’intervention, dont le choix s’est porté sur le retrait de la dorure du XIXe siècle et sur la conservation des apprêts de la peinture à la colle du XVIIIe siècle.
Au préalable, afin de stabiliser et de sauvegarder les préparations d’origine, un refixage a été effectué au Medium For Consolidation de Lascaux®, dilué et additionné de fiel de bœuf.
Deux organogels ont été sélectionnés et appliqués en deux étapes. Le Pemulen-TR2® (polymère émulsifiant polyacrylique) préparé avec du triéthanolamine (TEA) et du triammonium citrate (TAC) a permis un décrassage ; le rinçage a été effectué à l’eau[10] (fig. 22, fig. 23).


figure 22. Option 1, nettoyage de la bronzine et du vernis. © S. Courtier ; figure 23. Retrait de la bronzine oxydée et mise à jour d’une assiette acrylique. © S. Courtier.


figure 24. Option 2, dégagement de la dorure. © C2RMF / T. Clot ; figure 25. En cours de dégagement. © C2RMF / T. Clot.
Dans un deuxième temps, un autre organogel a permis d’effectuer le retrait de la cire, la couche de bronzine amalgamée dans un vernis, résidus sur les préparations de la dorure XIXe siècle. Le gel à base du polymère acrylique, le Carbopol® a été préparé avec de l’Ethomeen® C25 (tensio-actif) et de l’acétone ; le rinçage a été effectué à l’acétone.
La forme gélifiée du solvant a permis de contrôler l’apport de solvant en surface, et a permis de laisser une fenêtre de travail un peu plus longtemps car celui-ci a agi directement sur les matériaux à retirer. Il ne coule pas, ne s’évapore pas trop vite (problème de l’acétone). La forme assez visqueuse, a permis d’épouser les reliefs et de l’appliquer au pinceau, ce qui l’a rendu facile à travailler. Sa couleur transparente, se colorant lorsque l’on retire la bronzine, a permis de contrôler l’action (fig. 24, fig. 25).
Après ce nettoyage, il subsistait plus de 85 % de l’apprêt originel et environ 8 % de la peinture à la colle protéique sur l’ensemble de l’écran.
Ce nettoyage a permis de conserver les témoignages de la peinture d’origine, de mettre au jour les apprêts d’origine, en très bon état de conservation, et de trouver très vite un compromis, en jouant avec la couleur blanche de ceux-ci afin de retrouver un aspect « blanc laiteux » qui a été recherché et restitué par retouches.
De nombreuses lacunes de préparation ont été mises au jour et l’absence de préparation sur la traverse supérieure ainsi que la présence d’une sculpture différente, laisse à supposer que cette partie fut soit exécutée par une deuxième main lors de la conception, soit réalisée lors d’une restauration antérieure.
Un témoin de la couche de dorure du XIXe siècle a été laissé au niveau du boudin interne de la moulure, sur plusieurs centimètres. Les parties à bois ont été retouchées avec les couleurs acryliques des entreprises Sennelier ; celles-ci ont permis de jouer sur la couleur, l’épaisseur et l’aspect lissant afin de se rapprocher de l’aspect d’origine. Les lacunes ainsi que la traverse supérieure à bois ont été retouchées avec des couleurs à l’acrylique (fig. 26, fig. 27 et fig. 28).


Quatrième cas d’étude et de restauration. La restauration de la console d’applique italienne, 1675-1725, du département des Objets d’art du musée du Louvre (inv. OA 5032 - C2RMF67934)
Cette console est architecturée par six pieds en gaine surmontés d’une vasque fleurie dont les extrémités sont des mouvements de feuilles d’acanthe en volute. Ces pieds sont fabriqués d’un seul tenant et possèdent au revers des témoignages importants d’esquisses de décors. Elle présente en son centre une entretoise en X flanquée de quatre traverses de milieu, chantournées et affrontées. L’ornementation est empreinte de l’art classique du début du XVIIIe siècle : coquille, palmettes, culot, courbes, contre-courbes, feuilles d’acanthe, masques. Le décor est très riche, la surface sculptée est réparée et dorée. Les finitions sur l’or sont constituées de brunis et de glacis colorés donnant l’illusion de reliefs, de polychromie et de parties brunies (fig. 29).

L’étude et la restauration de la console d’applique italienne, se sont inscrites dans le cadre du programme de recherche Apchain en 2012. Un travail a été conduit au C2RMF, portant sur l’étude de surfaces dorées du mobilier français et italien, ainsi que de leur restauration, depuis le milieu du XVIIe siècle.
Dans un premier temps, des prélèvements sur les couches organiques et colorées recouvrant l’arrière des pieds, ont été effectués afin de caractériser les matériaux (fig. 30 à fig. 33).


figure 30. Glacis rouge sur l’or, à l’œil nu. © S. Courtier. ; figure 31. Coupe stratigraphique observée sous lumière filtrée (DAPI). © N. Balcar.


figure 32. Coupe stratigraphique observée sous lumière filtrée (FITC). © N. Balcar ; figure 33. Image en électrons rétrodiffusés obtenues au MEB. © N. Balcar.
Il en a résulté que les strates étaient composées d’un apprêt blanc à base de sulfate de calcium (1), d’une assiette de teinte rouge orangée composée de terres rouges (riches en fer) (2) qui sert d’adhésif à la feuille en or pur (3), de présence de nodules de glacis rouge (4), mais aucun élément chimique n’a été détecté et compte tenu du contraste chimique très faible obtenu, il y a tout lieu de penser qu’il s’agit d’un colorant organique rouge. De plus, une couche de nature organique est présente.
Dans un deuxième temps, des fenêtres de dégagement ont été effectuées sur la dorure à la détrempe très encrassée, par voie mécanique et chimique, en procédant à des « rolls » avec le bâtonnet de coton imbibé d’éthanol. Un organogel a été réalisé avec le Klucel G® afin de réduire l’évaporation de l’éthanol et maîtriser la migration (fig. 34).


La couche de crasse une fois dégagée, a laissé place à une dorure à la détrempe brunie et vermillonnée (fig. 35, fig. 36).
Afin d’effectuer une recherche de résidus de restauration après nettoyage, des prélèvements ont été effectués sur la dorure nettoyée (fig. 37, fig. 38).
Les résultats du MEB déterminent que la couche de finition organique ne semble pas persister et qu’aucun résidu du gel de nettoyage (Klucel, gel cellulosique) à la surface de l’or n’est présent. Un léger amas est perceptible sur la partie droite de la coupe, mais celui-ci s’apparenterait plutôt à un reste d’encrassement (fig. 39).


figure 37. Coupe stratigraphique observée au microscope en lumière blanche. © N. Balcar ; figure 38. Coupe stratigraphique observée sous lumière filtrée (DAPI). © N. Balcar.

Conclusion
Les agents gélifiants utilisés dans les nettoyages des surfaces dorées et polychromes, permettent une utilisation maîtrisée grâce à leurs transparences, et le contrôle du processus de pénétration. Les applications peuvent être précises et locales, accompagnées d’interfaces. Leurs viscosités offrent la possibilité de travailler sur des reliefs en 3 D et la rétention des solvants apporte une réduction de la vitesse d’évaporation qui allonge le temps de travail. Notons qu’aujourd’hui, il est possible de nettoyer la crasse d’une colle protéique ancienne tout en conservant la colle d’origine, ce qui permet de pallier aux techniques de nettoyages traditionnelles quand cela est possible. Le champ d’action est vaste autant que les problématiques ; il existe d’autres outils de nettoyage non développés ci-dessus, tels que les systèmes aqueux de Chris Stavroudis, l’agar-agar utilisé sous diverses formes physiques, les émulsions siliconées[11] et bien d’autres. Les nettoyages des surfaces dorées sont délicats, par la fragilité des couches préparatoires. Notons que certaines pistes restent à approfondir notamment sur les résidus, le vieillissement des surfaces après nettoyage et c’est pour cette raison qu’à partir de 2017, le Getty Conservation Institute de Los Angeles a initié un projet de recherche copiloté par Stéphanie Auffret et Sydney Beall Nikolaus sur le « nettoyage de la dorure sur bois », il est constitué d’un groupe d’experts internationaux[12].
Bibliographie
[1] HOMÈRE, L’Odyssée [Ὀδύσσεια], Paris, P.O.L, 2021 [fin du VIIIe s. av. J.-C.].
[2] PLINE L’ANCIEN, Histoire naturelle [Naturalis Historia], Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2013 [77 ap. J.-C.].
[3] WATIN Jean Félix, L’Art du peintre, doreur, vernisseur. Ouvrage utile aux artistes & aux amateurs qui veulent entreprendre de peindre, dorer & vernir toutes fortes de sujets en bâtimens, meubles, bijoux, équipages &c., Paris, chez Grangé, 1773.
[4] PEREGO François, Dictionnaire des matériaux du peintre, Paris, Belin, 2005.
[5] SIMON Jacob, The Art of the picture frame. Artist, patrons and the framing of portrait in Britain, catalogue d’exposition (Londres, National Portrait Gallery, 8 novembre 1996-9 février 1997), Londres, National Portrait Gallery Publishings, 1998.
[6] CENNINI Cennino, Traité des arts [Il Libro dell’arte], Paris, L’œil d’or, coll. « Mémoires & miroirs », 2009.
[7] ANGELOVA Lora V., ORMSBY Bronwyn, TOWNSEND Joyce H. & WOLBERS Richard (dir.), Gels in the conservation of art, actes de colloque (Londres, 16-18 octobre 2017), Londres, Archetype, 2007.
[8] FELLER Robert L. & CURRAN Mary, « Changes in solubility and removability of warnish resins with age », Bulletin of the American Institute for Conservation, vol. 15, n° 2, 1975, p. 17-26. Disponible en ligne, https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1179/019713675806156654 [lien valide en juillet 2021].
[9] CREMONESI Paolo, L’Ambiente acquoso per il trattamento di manufatti artistici, Saonara, Il Prato, coll. « Collana i talenti », 2019.
[10] KIRKPATRICK S., « L’utilisation de gels d’agar-agar pour le nettoyage superficiel de dorures aqueuses posées sur des objets tridimentionnels en bois », mémoire de master en arts plastiques, visuels et de l’espace soutenu à l’École nationale supérieure des arts visuels de La Cambre (ENSAV, Belgique, 2018).
[11] STAVROUDIS Chris, « Gels. Evolution in practice », in ANGELOVA Lora V., ORMSBY Bronwyn, TOWNSEND Joyce H. & WOLBERS Richard (dir.), Gels in the conservation of art, actes de colloque (Londres, 16-18 octobre 2017), Londres, Archetype, 2007.
Auteure
Stéphanie Courtier
Conservatrice-restauratrice de dorure sur bois, Centre de recherche et de restauration des Musées de France (C2RMF).
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
INP (2 février 2021). Les décors dorés sur le bois. Conservation-restauration des surfaces originelles. Variations patrimoniales. Le carnet de l’INP. Consulté le 20 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12soi