Projets de restauration de quelques antiques du palais Farnèse à Rome

Stage effectué au service des Travaux et Bâtiments français en Italie (STBI), ambassade de France en Italie (février-mars 2021).

Le palais Farnèse, dans le cœur historique de Rome, abrite depuis 1874 l’ambassade de France en Italie [fig. 1]. Le monument, bâti dans un secteur dense en constructions d’époque romaine, est aujourd’hui connu pour ses grands ensembles artistiques comme la galerie des Carrache. Dès sa construction à la Renaissance, il abritait également l’importante collection de sculpture antique constituée par la famille Farnèse, avant que celle-ci soit transférée à Naples juste avant la période révolutionnaire. Les projets de restauration brièvement présentés ci-dessous, auxquels j’ai été associé, concernent les vestiges romains présents dans les caves du palais (un ensemble composé de mosaïques et de sols en opus spicatum) ainsi qu’une tête antique en marbre représentant Jupiter ou Neptune.

Les pavements de mosaïque des sous-sols du palais

Les caves du palais Farnèse abritent in situ des pavements de mosaïques antiques [fig. 2]. Celles-ci appartenaient peut-être à un complexe thermal de la partie occidentale du Champ-de-Mars, sur laquelle fut bâti l’édifice à la Renaissance. Antonio da Sangallo, le premier architecte du palais au XVI^e siècle, fit le choix de préserver ces pavements, qui sont d’ailleurs mentionnés dans le guide de Jean-Jacques Boissard, Romanae urbis topographia et antiquitates publié en 1597-1602. Peu à peu recouvertes de terre, les mosaïques furent rapidement oubliées jusqu’à leur (re)dégagement en 1886 par Edmond Le Blant. Par la suite, dans la première moitié des années 1970, plusieurs campagnes de fouilles conduites par l’École française de Rome dans les sous-sols du palais permirent de réétudier cet ensemble, qui est composé de deux panneaux principaux.

La première mosaïque (aujourd’hui 7 x 5 mètres, mais plus grande originellement) représente des acrobaties équestres [fig. 3], motif qui entre en résonance avec les fonctions hippiques du Champ-de-Mars rappelées par Strabon (Géographie, livre V, 3, 8) et avec celles du stade de Domitien situé à proximité, à l’emplacement de l’actuelle place Navone. Quatre cavaliers, deux tournés vers la gauche et deux vers la droite, sont affrontés dans une composition équilibrée où les écuyers en position debout sur les chevaux alternent avec les cavaliers au repos [fig. 4, fig. 5]. Les attitudes acrobatiques des écuyers donnèrent son nom à ce pavement dit « des voltigeurs ». Si l’iconographie est remarquable, puisque l’on n’en connaît aucune autre similaire, on hésite cependant sur l’identité des cavaliers. L’interprétation qui consiste à y reconnaître des desultores, ces acrobates qui sautaient d’un cheval à l’autre lors des spectacles du cirque, est improbable car ils étaient généralement revêtus d’un équipement rappelant l’origine militaire de cette pratique, alors qu’ici les personnages sont nus. La mosaïque représente plus probablement des acrobaties équestres au caractère purement sportif ; la nudité des athlètes renvoie d’ailleurs davantage aux mondes grec et étrusque qu’aux habitudes romaines.

La seconde mosaïque (9,35 x 3,90 mètres) présente une iconographie plus traditionnelle, celle du thiase marin avec son cortège d’animaux réels et fantastiques, d’amours, de tritons et de néréides [fig. 6, fig. 7]. Beaucoup plus fragmentaire, elle a aussi subi des réparations dès l’Antiquité.

Ces deux pavements sont composés de tesselles en marbre de couleurs noire et blanche. Ce style « noir et blanc » est caractéristique des ateliers de la région de Rome et d’Ostie. Il connaît son apogée au II^e siècle ap. J.-C., principalement pendant les règnes de Trajan et d’Hadrien. Le style noir et blanc a moins retenu l’attention des chercheurs que les mosaïques polychromes ou que les emblemata en opus vermiculatum d’une grande finesse. Cette production, principalement étudiée par Marion E. Blake dans les années 1930 puis par John R. Clarke cinquante ans plus tard, et dont le corpus d’Ostie publié par Giovanni Becatti en 1961 constitue la référence, présente pourtant une originalité certaine. Ce style joue en effet sur les oppositions de surfaces et de lignes – et non sur les volumes ou sur le modelé comme pour les mosaïques polychromes –, et les détails sont signalés par des procédés graphiques de lignes blanches créant des effets de contraste saisissants.

La bichromie fut d’abord utilisée pour des motifs géométriques avant que naisse à Ostie un style parfois qualifié de « fleuri », qui utilise alors, sur de grandes surfaces, des éléments courbes dans lesquels s’insèrent des figures humaines et animales, constituant ainsi de véritables scènes narratives (frigidarium des thermes des Sept Sages, maison de Bacchus et d’Ariane et thermes de Trajan à Ostie). À partir du milieu du III^e siècle en revanche, le style s’alourdit, les figures se schématisent et deviennent moins réalistes.

Au sein de cette production, la mosaïque des voltigeurs peut être datée assez haut, entre la fin du I^er et le début du II^e siècle, en raison de son style mais aussi du contexte archéologique, puisqu’elle a dû être réalisée postérieurement à l’incendie qui ravagea le Champ-de-Mars en 80 ap. J.-C. Le style de la mosaïque marine, avec une disposition moins précise des tesselles, permet de la situer un siècle plus tard environ.

Quelques autres fragments épars de mosaïques se trouvent également à l’angle des galeries nord et ouest des sous-sols [fig. 2]. Enfin, à l’occasion des fouilles des années 1970 furent également dégagées quatre petites pièces comportant des sols en opus spicatum (pavage de briques disposées en épi, fig. 8). Ce sont ces trois ensembles de mosaïques (les deux pavements et les fragments) ainsi que les sols en spicatum qui font l’objet du programme de restauration.

Les mosaïques et les sols sont en effet dans un mauvais état de conservation malgré une précédente intervention dans les années 1990. Certains contours des deux mosaïques principales s’érodent et l’on constate par endroits la désolidarisation de certaines tesselles, tandis que certains éléments de brique des sols en spicatum s’effondrent. Les mosaïques présentent également un fort empoussièrement ainsi que des dépôts jaunâtres qui nuisent à leur lisibilité.

Une convention signée le 24 décembre 1936 entre l’Italie et le Gouvernement français stipule que ce dernier s’engage à maintenir le palais Farnèse dans son intégrité et dans un bon état de conservation. Le projet de restauration des mosaïques s’inscrit dans le cadre de cette obligation légale mais aussi dans un souci de valoriser les vestiges antiques du palais, en ouvrant, à terme, cette partie du monument à la visite.

La restauration d’une tête antique

Les antiques de la famille Farnèse commencèrent à être rassemblés par Alexandre Farnèse après son accession au pontificat sous le nom de Paul III (1534-1549). Les sculptures, qui portent encore aujourd’hui la dénomination de leur ancienne collection – tels le Taureau Farnèse, l’Hercule Farnèse… –, furent installées par Michel-Ange dans le palais, où les marbres dialoguaient avec l’architecture et la peinture. La collection (devenue entretemps propriété de la dynastie Bourbon par le mariage d’Elisabetta Farnèse avec le roi d’Espagne Philippe V) fut envoyée à Naples par Ferdinand IV de Bourbon entre 1786 et 1788, malgré la résistance du Saint-Siège ; les pièces majeures sont actuellement exposées au musée Capodimonte.

Quelques antiques restèrent cependant à Rome, mais il est particulièrement difficile de les repérer dans les inventaires, en raison de la description sommaire de certaines statues. Plusieurs listes d’œuvres de la collection ont en effet été dressées entre 1566, date du premier inventaire établi à l’instigation d’Alexandre Farnèse après la mort de son frère Ranuccio, et 1786, période à laquelle fut réalisé un état des lieux avant le déménagement par l’archéologue Domenico Venuti et le peintre Filippo Hackert. Dans ce dernier inventaire sont distinguées les sculptures qui doivent être transportées à Naples de celles vouées à demeurer à Rome. Il n’a pas été possible d’identifier avec certitude la tête présentée ici [fig. 9] : il est possible qu’elle ait fait partie de ce lot de la collection qui ne fut pas envoyé à Naples. Toutefois, une acquisition postérieure, voire une découverte effectuée par l’École française de Rome au XIX^e siècle, ne sont pas à exclure pour expliquer la présence de cette tête au palais Farnèse. Des recherches plus approfondies dans les archives pourraient permettre de retracer l’histoire de ce marbre.

La sculpture est une tête d’époque romaine, en marbre, mesurant 56 centimètres de hauteur sur 43 de large et 38 d’épaisseur. Bien qu’elle ait parfois été reconnue comme un portrait du poète Homère, elle représente plus probablement Jupiter ou Neptune. Elle se trouve actuellement sur le palier intermédiaire de l’escalier d’honneur du palais, réalisé dans les années 1520, à l’avant d’une cour servant de puits de lumière et où se trouvent d’autres éléments antiques. Des photographies d’Oscar Savio^[1] montrent que la tête avait d’abord été exposée dans la cour puis qu’elle a été déplacée sur le palier intérieur entre 1966 et 1976, peut-être en 1974 au moment des travaux de restauration de l’escalier.

Son état de conservation actuel, caractérisé par des dépôts jaunâtres sur les lèvres et les yeux ainsi que par d’importantes traces d’encrassement dans la chevelure, nécessite une légère opération de nettoyage. En outre, le jointement entre la tête antique et son socle (réalisé à une date inconnue) mériterait d’être repris car des éléments de plâtre débordants et peu esthétiques montrent que ce soclage a été réalisé rapidement,sans beaucoup de soin. Enfin, la base en travertin présente une patine de résine qui s’oxyde.

Ces deux projets de restauration ont été proposés par le service des Travaux et Bâtiments français en Italie (STBI) au sein de l’ambassade de France^[2], en lien avec la Surintendance des biens culturels de Rome et avec le bureau du Patrimoine et de la Décoration du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

François CHEVROLLIER

Élève conservateur du patrimoine, spécialité archéologie.

Références bibliographiques

COLLECTIF, Le Palais Farnèse, vol. 2, Planches, Rome / Paris, École française de Rome / Berger-Levrault, 1980.

Giovanni BECATTI (dir.), Scavi di Ostia, vol. 4, Mosaici e pavimenti marmorei, Rome, Libreria dello Stato,1961.

Henri BROISE et al., « Éléments antiques situés sous le palais Farnèse », Mélanges de l’École française de Rome. Antiquité, n° 89, vol. 2, 1977, p. 723-806.

Edmont LE BLANT, « Note sur une mosaïque découverte au palais Farnèse », Mélanges de l’École française de Rome, n° 6, 1886, p. 327-328.

[1] Reproduites dans la monographie en trois tomes Le Palais Farnèse (COLLECTIF, 1980, p. 168-169).

[2] Je tiens à remercier M. Laurent Delfour, architecte des Bâtiments de France et chef du service, ainsi que toute l’équipe du STBI, pour leur accueil.

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